Le tigre a la peau dure

Le tigre a la peau dure

Aussi loin que sa mémoire remontait, Élisabeth connaissait, exposé dans le salon de ses parents, ce tigre de porcelaine reluisant de propreté. Pour elle, il était l’objet qui permettait de tester si le ménage avait été bien fait dans la maison. Elle voyait souvent sa mère passer l’index sur le dos de l’animal et scruter son doigt,  tout de suite après,  minutieusement, pour s’assurer qu’elle ne pouvait y voir aucun grain de poussière. S’il n’était pas immaculé après avoir caressé l’animal, les remontrances au fidèle serviteur Lhomme ne se faisaient pas attendre :

–         Lhomme, tu n’as pas fait ton travail aujourd’hui. Vois la poussière sur mon tigre, lui reprochait-elle d’un air dégouté.

Il n’était d’ailleurs pas rare de capter les regards expressifs que lançait Lhomme vers cet animal traitre, dénonçant souvent les jours où il avait été un peu négligent.

Comme dans toutes les maisons, le salon, chez Élisabeth,  n’était pas l’endroit désigné pour jouer. Mais, un jour de pluie et d’ennui, Élisabeth et ses sœurs avaient eu l’idée de s’y distraire avec un ballon, en prenant la précaution de faire bien attention à ne rien casser. Pas de passes rapides, un jeu tranquille. Malgré tout, ce qui devait arriver arriva. Le ballon ne tarda pas à frapper le tigre qui se brisa en mille morceaux.

Quelle panique ! Chacun rendit l’autre responsable. D’où était venue cette idée saugrenue de jouer au ballon dans le salon ? Chacun dit s’être laissé entrainer par l’autre. Et personne ne voulut prendre la responsabilité d’annoncer la nouvelle du tigre disparu. On en voulut à ce stupide bibelot qui aurait pu tomber sans se casser, ce qui aurait pu constituer une mise en garde. Ou alors, il aurait pu ne se briser qu’en deux morceaux qu’on aurait juxtaposés… Ainsi, on aurait pu faire semblant de ne pas comprendre ce qui arrivait le jour où  les parents auraient remarqué que ce tigre n’était plus en une seule pièce.

La première chose à faire était donc de prendre un balai pour faire disparaître tous ces éclats projetés au sol, corps du délit… Cela ferait gagner du temps… On déciderait après si on attendrait que l’on remarque la disparition de l’animal ou s’il était plus intelligent de révéler le malheur qui était arrivé. Mais c’était le jour de malchance de ces filles ! Leur maman arriva au salon pendant l’opération et les tractations :

–        Ah, vous avez cassé quelque chose ? dit-elle

Ce fut la panique. Tous les cœurs se mirent à battre plus vite.

–        Avez-vous toutes des chaussures aux pieds ? Il ne faudrait pas vous blesser.

Elle n’avait pas encore compris… Sa colère n’en sera que plus grande quand elle réalisera ce qui s’est passé, pensaient les filles.

–        Tiens, c’est le tigre qui s’est cassé ! dit alors la maman, en éclatant de rire.

Les trois filles ne comprirent pas. « Pi ta Pi tris » (1) se dirent-elles.

–         Il a la peau dure, continue leur maman. Quand votre père et moi l’avons reçu, il y a seize ans, comme cadeau de mariage, votre père l’a détesté. Je ne l’aimais pas tellement,  mais j’ai tenu à l’exposer par amour pour cette vieille dame qui me l’avait offert. Votre père a alors déclaré : « ce tigre, celui qui se chargera de sa mort sera récompensé ». Depuis lors, ce tigre nous a bien fait rire, votre père et moi. Cela nous amuse de penser qu’il nous survivra peut-être. Il a la peau dure. Ce soir, au retour de votre père, je lui annoncerai la mort du tigre. Peut-être que plus tard, vous aurez droit à un cornet de crème à la glace « Au Bec Fin » (2) !

 

———–

 

(1) Pi pa pi tris : dicton créole se traduit littéralement : plus tard, plus triste. Renvoyer à plus tard peut amener plus de tristesse, vu que l’on ne sait pas de quoi demain est fait.

(2) Au Bec Fin : café placé à la Rue des Miracles, à Port-au-Prince où l’on servait le soir, dans les années 70-80,  de la crème à la glace aux clients qui restaient assis dans leur voiture.

 

 

Histoire sordide

Madame Durand vit ses derniers moments. A son chevet, son mari lui témoigne un dévouement qui l’émeut profondément. Il ne la quitte pas, lui prodigue les soins dont elle a besoin, il est plus présent que jamais dans sa vie.

Madame Durand est touchée par toutes ces attentions. Elle ne veut pas mourir sans obtenir un pardon de son mari.

— Chéri, je vais laisser ce monde. Tu as été un bon mari. Je ne te méritais pas. Est-ce juste de me séparer de toi sans te faire connaitre ma vérité ? Je ne t’ai pas été fidèle. Guy, ton meilleur ami, a été mon amant.

Monsieur Durand est profondément secoué par cet aveu. Cette femme, dont il est responsable de la mort, est plus forte que lui. Elle a eu le courage d’avouer sa faute. Lui demeure lâche et impudent. Il l’a empoisonnée à petites doses. Mais c’est parce qu’il l’aimait qu’il ne pouvait pas tolérer son infidélité ! Il a péché par amour ! Dieu, si seulement il pouvait retourner en arrière et trouver le contrepoison. Il choisirait une solution différente  pour mettre fin à sa douleur de mari trompé. Il couperait court sa relation avec Guy. Il essaierait de regagner le cœur de sa Suzanne. Mais il est trop tard. Suzanne meurt, grandie, à ses yeux, par sa contrition et son aveu.

De l’au-delà, pourrait-elle découvrir ce secret qui lui ronge maintenant les tripes ?

Guy est la première personne à venir en visite de condoléances, quand Suzanne est libérée de ses souffrances. Il est défait. Aussi, il est perturbé de voir l’état de son ami qui semblait auparavant montrer de l’indifférence envers sa femme, au point où cela l’avait poussée dans ses bras…. Guy lui dit honnêtement qu’il s’étonne que la mort de Suzanne le mette dans un état pareil.

Monsieur Durand avoue alors son crime : oui, il était jaloux des sourires de sa femme, de ses mises en beauté à l’annonce d’une visite de Guy chez eux, jaloux aussi des sorties imprévues de Suzanne, après lesquelles elle revenait accompagnée d’une auréole de bonheur palpable. Lâchement, il n’a pas pensé à une autre solution que celle de la tuer. Un poison administré à petites doses a mis fin à ses jours. Elle était gentille, Suzanne. Jamais, elle ne l’a soupçonné. Et aujourd’hui, il voudrait mourir avec elle.

Guy est furieux. Il en vient aux mains. Le personnel de maison se met à crier à tue-tête pour tenter de séparer ces amis de toujours qui semblent, aujourd’hui, décidés à s’entretuer.

Tous deux finissent par se séparer, portant chacun les lourdes traces d’une double perte : mort d’une amitié, mort d’une femme aimée.

Ils ont chacun beaucoup d’eux-mêmes qui est parti avec Suzanne. Il leur reste à vivre dans le tourment.

Les nuits de Monsieur Durand sont maintenant hantées par des cauchemars. Ses rêveries sont sordides. Il revoit Suzanne du temps où il lui faisait la cour, au début de leur mariage, ou encore quand elle est devenue mère. Il aime sa joie de vivre, sa coquetterie, son sens des détails, ses passions. Lui,  il se voit méchant, couard et cynique, tuant tout cela lentement, un jour à la fois, une émotion à la fois.

Guy a perdu une femme aimée et un ami dont il est dégouté. Il n’a plus envie de vivre. Il se voit comme un traitre : il a trahi celui qui fut son meilleur ami en lui volant sa femme, mais celui-ci s’est avéré être un criminel. Quelle profonde déception ! Il devrait le dénoncer. Mais peut-il encore trahir une amitié, en révélant à la justice cet horrible secret qui lui a été confié ?

 

Dans le numéro de juillet 2015, N.B. vous invite à lire “Des Nouvelles d’Elisabeth”

NB juillet 2015

Ma Peur de vieillir

Mon éducation religieuse chrétienne m’a libérée de la peur bleue de mourir qui m’obsédait, quand j’étais gosse.

Je paniquais à l’idée d’être un jour conservée dans une chambre froide, en attendant d’être placée dans un caveau pour servir de festin aux  vers de terre et autres bestioles dégoûtantes que je déteste jusqu’à l’heure d’aujourd’hui. Je n’hésite jamais à les écraser sans remords pour les faire passer de vie à trépas.

Pourtant, je ne crains plus leur moment de revanche, puisque je sais,  maintenant, que pendant qu’elles se régaleront de mon corps pourri, mon âme connaîtra la délivrance ; elle aura laissé la « vallée de larmes » pour rejoindre son Créateur dans la « cité des joies éternelles ». Je suis heureuse de dire, confiante, que je n’ai plus peur de la mort. Je la vois, au contraire, libératrice, quoiqu’encore mystérieuse.

Le problème à présent, c’est que j’ai peur de vieillir !

J’ai pourtant envie de vivre les moments magiques que le passage du temps procure : voir ma famille grandir, accueillir ses nouveaux membres, être témoin de leurs moments de bonheur, les supporter dans les inévitables moments difficiles. Mais, pour en profiter, il faudrait que je sois gâtée par la vie, qu’elle me laisse vieillir en possession de toutes mes facultés mentales et physiques.

Est-ce raisonnable de l’espérer ?

J’ai peur d’être privée de l’un de mes sens, voire de tous.

Perdre l’ouïe, par exemple, condamne à s’isoler socialement, à ce que plus personne n’ait envie de partager une nouvelle, une histoire avec soi. Les dialogues de sourds ne font rire que dans les blagues.

À quoi me servirait la sagesse acquise au cours des années, si ma surdité me coupait de la possibilité d’en faire profiter les autres ?

Je m’imagine, vieille, percevant très mal les sons, heureuse de la visite d’un de mes descendants. Par amour, il est venu me tenir au courant de l’actualité :

— Grand-mère, sais-tu que, maintenant, on peut se payer un voyage dans l’espace ? Je peux me rendre sur la lune !

— Oui, j’ai remarqué la pleine lune cette semaine.

Échange impossible qui tarit le désir de mon visiteur. L’entretien est raccourci.

Je m’enferme dans une solitude que je peux difficilement atténuer, dans la mesure où je suis prisonnière, emmurée dans un corps qui ne me permet plus d’écouter les autres, d’entendre de la musique ou les nouvelles à la radio….

L’internet est mon sauveur ! J’ai pu rester branchée… Je peux donc communiquer par email, grâce aux réseaux sociaux, prendre des nouvelles de ma famille que je ne vois pas assez… Mais, faut-il encore pour cela que ma vue soit bonne !

Je revois ce dialogue de sourds au cours duquel j’imagine répliquer de façon inappropriée… Si je perdais la vue, je ne pourrais même pas capter le mot « lune » pour donner une réponse qui pourrait faire rire ceux qui ne sont pas touchés par un tel handicap.

Prisonnière dans mon corps, cela vaudrait-il même la peine d’ouvrir les yeux, s’ils ne me permettaient plus de voir quoi que ce soit ? Il ferait toujours noir dans mon corps…. De fait, que me resterait-il à dire ?

Le lever du jour, le coucher du soleil, la fleur qui éclot, l’enfant qui grandit, le bonheur dans un regard, le réconfort d’un sourire ne pourraient plus s’offrir à mon regard… Ne sont-ce pas les sources d’inspiration d’une conversation agréable ?

Par contre, j’ai moins peur de voir diminuer ou disparaitre mon odorat, mon goût ou mon toucher… Je pourrais me contenter de la nostalgie de l’odeur d’un bon café fumant ou d’un repas en cours d’élaboration, du souvenir de la saveur d’une bonne viande grillée à point ou d’une délicieuse mangue baptiste, de la pensée de douces caresses…

Au fait, la pleine jouissance de quelques uns de mes sens me suffirait-elle pour rester en contact avec le monde extérieur ?

Je sais, je sens, que tout le monde a peur de vieillir. Les raisons diffèrent et les moyens de l’exprimer aussi.

J’ai vu des gens arborer une tête à la peau raidie, au sourire figé, exhibant l’inévitable asymétrie de tout visage qui s’est trop souvent fait tirer la peau, au regard surpris par l’agression subie. Leurs yeux semblent parfois s’étonner devant leurs avant-bras et leurs mains épargnés du scalpel, parce que la chirurgie moderne n’a pas encore trouvé comment les embellir…

Je salue ici le courage de ceux qui choisissent le traumatisme de la table d’opération pour essayer d’offrir aux autres, le plus longtemps possible, une beauté, une jeunesse qu’ils ne veulent pas perdre… C’est une forme d’altruisme, puisque c’est aux autres qu’ils montrent leur visage ou leur corps refaits ; ces autres qui, en retour, leur offrent des visages marqués par les lignes du temps….. Implacables miroirs qui n’ont rien effacé.

Pour en revenir à mon cas personnel, oui, j’ai peur de perdre mes facultés mentales.

Je ne veux pas devenir cette maman de qui les enfants n’attendent plus d’être reconnus,  ou qui cherchent à se convaincre que la lueur dans mes yeux leur était destinée, que c’est eux qui ont fait naitre ce sourire sur mes lèvres…

Mais, peut-être suis-je déjà vieille ? Dans certains de mes souvenirs, je revois ma mère, vieille en apparence, alors qu’elle n’avait même pas, à ce moment-là, l’âge que j’ai maintenant. Je me fais toujours la réflexion, en revoyant des amis perdus de vue pendant un certain temps, que certains ont bien vieilli. Parfois, mes petits-enfants me demandent innocemment si j’étais vivante du temps de l’indépendance d’Haïti, ou du couronnement de Soulouque…

À quel âge devient-on donc vieux ?

Pour l’heure, je jouis encore de mes cinq sens, je me déplace avec facilité, j’ai le cœur rempli d’amour et de l’intérêt pour plein de choses.

J’ai acquis de l’expérience dont je veux faire bénéficier ceux qui le veulent bien…

Je suis bénie si je suis dans cet état et déjà vieille. Mais je sais que je suis appelée à vieillir encore….

Le fait est qu’en prenant de l’âge, je qualifie de jeunes les gens de plus en plus longtemps…

Ceci sans doute, parce que, oui, j’ai peur de vieillir.

 

Le Nouvelliste – Culture – 15 juin 2015 – Article de Roland Léonard au sujet “Des Nouvelles d’Elisabeth”

Article de Roland Léonard au sujet “Des Nouvelles d’Elisabeth”, paru dans Le Nouvelliste du 15 juin 2015Des Nouvelles d’Elisabeth

A Livres en Folie 2015

Sur Le Nouvelliste – l’actualité en vidéo – 2 juin 2015

Mon livre “Des Nouvelles d’Elisabeth” sera à “livres en folie 2015”

Hommage à une famille qui perpétue les traditions

Ce que je vous raconte ici vous révélera mon âge : j’ai eu de l’émotion à entendre, au début de ce mois, une publicité sur les ondes de Radio Métropole, pour un dîner gastronomique au Rond-Point Restaurant.

Ce n’était pas un jeudi, donc pas un jour de métro-rétro (1). L’invitation était pour le mardi 14 avril 2015. Ceci m’a ramenée au bon vieux temps, où tous les matins, Port-au-Princiens et Pétion-Villois entendions à la radio le menu du jour du restaurant le Rond-Point du bicentenaire, suivi de la phrase ne varietur : « dessert, café, à tout à l’heure ».

Cependant, l’invitation pour le 14 avril était différente : elle concernait l’événement le plus raffiné de l’année, avec un menu dégustation à six temps, préparé par le chef, de renommée internationale, Ivan Quevedo. Ce repas serait par ailleurs marié aux grands crus de la maison Moët et Chandon.

Le jour dit, je suis heureuse de pouvoir répondre à cette invitation, accompagnée de mon mari et d’un couple d’amis. En tant qu’Haïtienne, j’éprouve de la fierté à pénétrer dans le superbe Hôtel Kinam, érigé par une famille haïtienne grâce à des capitaux haïtiens, sur la Place Saint-Pierre de Pétion-Ville.

J’aime les traditions et j’apprécie que, pour perpétuer le Rond-Point, restaurant familial inauguré en 1949 par la famille Buteau, lors de l’exposition internationale du Bicentenaire de Port-au-Prince, les concepteurs du Kinam de Pétion Ville aient tenu à inclure un rond-point dans son aménagement. Ainsi, le restaurant, inauguré dans son nouveau local en 2014, donne vue sur un rond-point, tout comme le faisait le restaurant original qui dut abandonner la zone du bicentenaire malheureusement trop dégradée.

Ce 14 avril, donc, il est beau de ne voir que des bouteilles de Moët et Chandon parfaitement alignées dans la cave vitrée du bar, faisant face à l’escalier et à l’antichambre du restaurant. Le panneau de fond d’une partie de cette cave a été enlevé, afin de permettre à chacun de voir travailler le chef Ivan Quevedo, venu pour l’occasion de Mexico City, à travers la vitre et les bouteilles de champagne.

À notre arrivée, nous sommes chaleureusement accueillis au bar avec une flûte de champagne Moët Impérial. Edline, hôtesse gentille et élégante, nous invite ensuite à rentrer dans la grande salle du restaurant, dont le décor éclectique me séduit  : il offre un mélange de chaises Louis XIV avec des meubles de salon/”lounge » moderne, des lustres classiques luxueux, dotés d’une note de fantaisie grâce à des plumes noires ajustées sur leurs points d’attache au plafond. La pièce compte également des persiennes en bois tout à fait caraïbéennes et placées contre le mur du fond, ce qui permet de tamiser agréablement l’éclairage. Enfin, des miroirs, positionnés sur les murs, sont ornés d’encadrements habillés de céramiques et de plumes de pintades locales. À travers la grande baie vitrée, on voit la Place Saint-Pierre, toujours bien entretenue, au milieu de laquelle trône un énorme panneau d’affichage électronique aux mille coloris qui défilent. Cet élément donne une allure de modernité à Pétion-Ville et me laisse penser que je suis au « Time Square » d’Haïti.

Je reviens à notre dîner. Sitôt assis, le serveur, assigné à notre table, se présente. Il se nomme Zoro et nous confirme qu’il sera à notre service pour la soirée. Dans une des quatre flûtes de champagne placées devant chacun de nous, on nous sert encore du Moët Impérial, icône de la maison Moët et Chandon depuis 1869. On nous verse de l’eau dans les verres adéquats, en prenant la peine de nous présenter, auparavant, un plateau joliment garni de feuilles de menthe, de tranches de concombres, de citron vert et de citron jaune, pour aromatiser l’eau à notre goût.

Le repas est ensuite servi. Un sashimi pour commencer. Puis, suit mon plat préféré : le homard grillé à la Thaïlandaise, accompagné de gnocchis au parmesan rôti et foam de basilic frais. Mon mari, quant à lui, préfère les côtes de bœuf braisées pendant huit heures et accompagnées de purée d’edamame, d’oignons croustillants et de cresson, le tout servi avec du Moët et Chandon rosé. Par contre, les amis, qui nous accompagnaient, ont déclaré que le foie gras poêlé en sauce asiatique et compote de pommes à la vanille, servi avec un champagne gourmand, le Moët et Chandon Nectar Impérial, était, à leur sens, le meilleur plat. Le fait que chacun ait un plat favori différent me permet d’affirmer que tout était délicieux.

Avant de passer au dessert, Monsieur Geoffrey Bouilly, représentant de la maison Moët et Chandon, fait un tour des tables. Il se présente, sollicite notre opinion et nous annonce que le dessert, panna-cotta de vanille du terroir servi avec une biscotte au thé vert et fruits macérés au saké, sera accompagné de Moët et Chandon Ice Impérial, le premier et seul champagne spécialement créé pour être dégusté sur de la glace. Je savoure avec volupté la merveilleuse fraicheur de cette boisson délicate. Je suis heureuse de la découvrir au Rond-Point.

C’est que… ce n’est pas la première chose que le Rond-Point m’aura permis de connaître.

Dès mon jeune âge, mes parents avaient pour habitude d’amener mes sœurs et moi diner au Rond-Point, en fin d’année scolaire. C’était une sortie impatiemment attendue. Elle marquait le début des vacances d’été et c’était le seul repas au restaurant de l’année.  J’avais sept ans, quand, lors de l’un de ces repas, je commandai de la crème glacée pour dessert.

— Quel parfum ? me demande le garçon

À cet âge, je ne connaissais pas beaucoup de parfums. Il ne me fallait surtout pas perdre la face. Heureusement que ce jingle qui passait régulièrement à la Radio me revint en tête à ce moment-là :”Opéra, opéra, a, a, a, a de Coryse Salomé ». Je me tins un peu plus droite sur ma chaise et me retournai pour déclarer avec assurance :

— Opéra de Coryse Salomé.

Je n’ai jamais oublié les rires de toute ma famille. C’est au Rond-Point que j’ai appris qu’on disait parfum pour désigner la saveur d’une crème glacée et je trouve formidable que, cinquante ans plus tard, j’aie pu découvrir encore quelque chose de nouveau au Rond-Point, en l’occurrence, le Moët Ice Impérial, vendu en Haïti par les Établissements Didier Rossard.

 

(1) En Haïti, le jeudi, une des stations de radio les plus écoutées, Radio Métropole, offre une journée d’écoute appelée le « métro-rétro » : il ne passe sur les ondes que les anciens succès des années 60 et 70.

 

Ces larmes qui jouent des tours

Élisabeth a les larmes faciles, et cela lui a souvent joué des tours.

Longtemps officier d’une banque américaine établie en Haïti, elle a toujours apprécié son travail. Elle aimait dire qu’elle avait « le patriotisme de son emploi ». Elle avait d’excellentes relations avec ses collègues de bureau qui lui avaient affectueusement donné le surnom de Madame Baloney. L’histoire à l’origine de ce sobriquet faisait toujours sourire employés supérieurs et subalternes.

Un Américain de passage en Haïti rentre un jour à la banque avec l’arrogance d’un colon en pays conquis. Il veut  obtenir immédiatement du cash en échange d’un de ses chèques tiré sur une banque américaine de New York. Le caissier auquel il s’adresse en premier temps lui explique que ce n’est pas possible. Il demande à voir son superviseur qui lui explique la même chose. Il se met alors à gueuler, affirmant qu’il est dans « sa » banque et que l’on refuse de le servir, qu’il s’assurera de porter plainte au plus haut niveau à la maison mère dès son retour aux États-Unis d’Amérique. Sa voix tonitruante laisse entendre aux employés et aux clients présents qu’il ne quitterait pas les lieux sans avoir obtenu satisfaction. Le superviseur, sentant que la situation devenait hors de contrôle, décide de se référer à un échelon supérieur de la hiérarchie. Il va expliquer le problème à Élisabeth qui demande d’amener ce monsieur à son bureau afin qu’elle lui explique pourquoi on ne pouvait pas l’aider. Accompagné du superviseur, cet « ayant droit » arrive comme une furie dans le carré d’Élisabeth et hurle comme si c’était la seule façon de se faire entendre :

–   Je suis un Américain, client de cette banque aux États-Unis d’Amérique. Je suis muni de mon chéquier plein de chèques tirés sur  une branche de cette même banque à New York. Je visite Haïti pour quinze jours et je suis à court d’argent. Il me faut du cash tout de suite. Votre caissier et son superviseur se permettent de me dire que cela n’est pas possible.

–   Asseyez-vous donc, monsieur. Je me présente, Élisabeth Bastion, responsable du service à la clientèle. Puis-je vous offrir quelque chose à boire ?

Le client, méprisant, refuse d’un geste impatient, mais prend quand même le temps de s’asseoir. Élisabeth lui explique pourquoi on n’est pas capable de lui changer son chèque tout de suite. Elle lui dit qu’on peut cependant l’envoyer à l’encaissement, moyennant qu’il paie les frais de courrier et toute commission chargée par la succursale étrangère. On le préviendra par téléphone quand les fonds arriveront, et il viendra les chercher.

Ce monsieur, visiblement agacé, prend la peine d’écouter puis rétorque :

–   Vous voulez dire, dit-il, que vous êtes un officier de banque et que vous n’avez pas l’autorité de me changer un chèque d’un millier de dollars américains ! Vous pouvez le faire mais vous ne voulez pas le faire pour moi.

Le ton de ce monsieur, qui s’était calmé, recommence à monter.

Élisabeth lui répond avec le calme  du professionnel bien formé et sûr de lui :

–   Non, je ne peux pas le faire pour vous.

Agacé et se sentant vaincu, ce monsieur se lève, met les deux mains sur le bureau d’Élisabeth, se penche vers elle et crie :

–   Baloney !

Il tourne les talons et s’apprête à partir. Élisabeth n’ayant pas compris si ce monsieur voulait s’adresser à un monsieur Baloney, qu’elle ne connaît pas, s’enquiert poliment :

–   Excusez-moi, monsieur, vous avez dit monsieur Baloney ? Je ne le connais pas. Qui est monsieur Baloney ?

Ce monsieur devient rouge de colère et crie en claquant la porte :

–   Baloney is one step nicer than bullshit.

La lumière se fait pour Élisabeth qui éclate de rire. Ce monsieur vient d’ajouter un mot à son vocabulaire anglais : baloney.

Sa question à cet être impatient n’avait rien de sarcastique. Son intention n’était pas de se montrer impertinente, mais sa gentillesse et sa candeur ont indigné et chassé ce monsieur dont le comportement devenait intolérable. Les employés ont adoré l’histoire, et Élisabeth est devenue pour eux Madame Baloney.

C’était intéressant de travailler à la banque, de servir et d’observer toutes sortes de clients :

–   ceux à qui l’argent donnait une attitude arrogante ;

–   ceux qui étaient d’une amabilité exagérée comme s’ils voulaient s’excuser auprès de cet employé de banque qui les servait d’avoir plus d’actifs qu’il n’en aura jamais ;

–   ceux qui attendaient un service tapis rouge pensant que le peu d’argent qu’ils avaient à la banque leur donnait droit à des courbettes ;

–   ceux ayant un complexe d’infériorité par rapport aux autres clients, ou même par rapport au clerc qui les servait, et qui se faisaient tout petits ;

–   ceux qui avaient la grosse tête et étaient offusqués que l’on ne les reconnaisse pas, leur demandant une pièce d’identité et non un autographe.

–   ceux dont la bonne éducation, les bonnes manières et le respect des autres rendaient l’interaction confortable et agréable ;

–        ceux qui n’arrivaient pas à cacher leur inconfort à parler de leur fortune à un inconnu ;

–   ceux qui, au contraire, en racontaient plus qu’il n’était nécessaire, donnant des détails dont on pouvait se passer ;

–   ceux que l’on se faisait un plaisir de servir, leur gentillesse, leur humeur, leur patience étant toujours égales.

L’ambassadeur Wong Yu Sheng faisait partie de cette dernière catégorie. C’était vraiment le client idéal ! Il avait choisi de se faire servir par Élisabeth à qui il annonçait toujours sa visite, même pour le service le plus simple. Si, malgré l’annonce de son arrivée, Élisabeth était occupée à servir un client qui avait fait une apparition imprévue, l’ambassadeur s’asseyait et attendait patiemment. Il trouvait toujours un mot aimable en réponse aux excuses d’Élisabeth pour l’avoir fait attendre. Il souriait, causait juste ce qu’il fallait pour permettre à Élisabeth de régler ses affaires sans être distraite. Il disait que les services d’Élisabeth étaient les meilleurs et que si, pour une raison quelconque, Élisabeth n’était pas à son poste un jour où il visitait la banque, il préférait revenir. Il pensait et l’exprimait que personne ne le servait avec autant d’efficacité. Pendant qu’une transaction était en cours, il échangeait avec Élisabeth quelques propos futiles, parlait souvent de cuisine et de plats chinois, avec le souci, semblait-il, de ne pas la déconcentrer et de ne pas, inutilement, lui prendre trop de temps, ce qui pourrait faire souffrir d’autres clients qui auraient besoin d’elle. L’ambassadeur avait été jusqu’à inviter Élisabeth à dîner une fois l’an pour la remercier de si bien s’occuper de lui à la banque. À cette occasion, l’ambassadeur s’était assuré de faire servir le meilleur des repas à Élisabeth : il l’avait introduit avec un canard laqué et des petites crêpes fourrées de peau de canard auxquelles on avait ajouté de la sauce hoisin et de la ciboulette. Tout ceci faisait qu’Élisabeth aimait penser à l’ambassadeur Wong Yu Sheng comme à un client-ami.

Cependant, quand elle avait arrêté de travailler à la banque, elle ne l’avait plus jamais revu. Elle ne le voyait plus qu’à la télévision si on retransmettait une manifestation à laquelle le corps diplomatique était invité, ou sur les journaux où l’on publiait parfois une photo dans laquelle il apparaissait. Elle avait ressenti un peu de peine quand elle avait dû se rendre à l’évidence que ce n’était pas des rapports d’amitié qui avaient existé entre eux, mais des rapports professionnels courtois. Elle gardait malgré tout un bon souvenir de cette relation avec l’ambassadeur taïwanais Wong Yu Sheng, ce qui n’était pas le cas pour tous ses clients.

En feuilletant un jour le journal, Élisabeth voit l’annonce d’une messe à l’église du Sacré-Cœur de Turgeau pour le très regretté Wong Yu Sheng, ambassadeur de Taïwan en Haïti pendant de nombreuses années, mort depuis déjà un mois à Taïwan. Élisabeth s’étonne de n’avoir, jamais, soupçonné la mort de Wong Yu Sheng, de n’avoir pas appris la nouvelle par la radio, et que dans son cercle d’amis et de parents, cela n’ait jamais été mentionné. Les larmes lui montent aux yeux à l’idée que son ami (oui, la mort lui donnait le droit de reprendre ce titre) Wong Yu Sheng soit apparemment mort en simple quidam.

Élisabeth tire de son sac à main son petit agenda qu’elle tient méticuleusement à jour et consulte tous les matins. Elle y cherche la date et l’heure de cette messe et est contente de constater que rien n’y figure. Elle y inscrit en lettres bien claires : à 4 heures de l’après-midi du vendredi vingt-deux août : messe pour Wong Yu Sheng – Sacré-Cœur.

Elle obtient de son bureau l’autorisation de laisser plus tôt ce jour-là. Elle apporte un tailleur noir liséré de blanc, très seyant, pour se changer et, avant de partir pour la messe, se refait un maquillage soigné grâce à sa trousse de cosmétiques qu’elle avait aussi pensé à prendre avec elle. Élisabeth est élégante, a de la classe et sourit des commentaires de ses collègues de bureau qui la voient prête à partir :

–   Ayayay… Tu vas bloquer la circulation… Les gens s’arrêteront sur ton passage pour te regarder…

Arrivée devant l’église du Sacré-Cœur, elle est agréablement surprise de voir qu’il y a plein de places de parking libres. Ce n’est pas un problème de garer sa voiture contrairement aux dimanches matins. Il est plus facile de se mettre à l’avenue José-Marti et de rentrer par le transept du côté gauche de l’église où les bancs sont placés perpendiculairement à ceux de la nef principale. La porte d’entrée qui donne sur cette rue est dans le champ visuel de la nef et du transept de droite et quatre-vingt-dix pour cent des yeux de l’assemblée sont naturellement braqués sur elle. En général, très peu de gens attendant le début de la messe sont dans le recueillement qui serait de mise à ce moment-là. Leurs yeux sont fixés sur cette entrée et deviennent instinctivement observateurs, inquisiteurs, curieux. À leur décharge, il faut dire que se recueillir n’est pas facile dans une église en train de se remplir et dont les portes ouvertes laissent entrer le vacarme d’une rue haïtienne passante : klaxons, freinages, accélérations, injures, rires, bandes de carnaval  pendant les premiers mois de l’année, raras pendant le carême… C’est que les bruits d’un pays tropical du tiers monde ne sont pas camouflés et contrôlés comme ceux des pays développés et éduqués. Un aéroport en Suisse dans lequel il y a un va-et-vient incessant de passagers tirant leurs bagages, cherchant leurs portes d’embarquement, faisant des achats, mangeant, se faisant des adieux ou se souhaitant la bienvenue est plus silencieux qu’une église en Haïti. Cette dernière ayant, en plus, un grand attrait pour les fous. Sans oublier que pour se rendre à l’église, les gens donnent l’impression d’avoir fait des recherches pour trouver des tenues aussi  excentriques et ridicules que les chapeaux portés par les nobles de ce monde aux mariages royaux. L’architecture d’une église, avec ses bras transversaux coupant la nef principale pour lui donner la forme d’une croix, invite malheureusement le public à se distraire plus qu’à se recueillir.

Quand Élisabeth entre avec assurance au Sacré-Cœur par le transept de gauche pour la messe chantée pour le  regretté Wong Yu Cheng, elle est surprise de voir une église pleine à craquer. Les nombreuses places de parking disponibles l’avaient induite en erreur et lui avait fait croire que l’église serait vide. Ce n’est qu’à la première rangée, où est installé, tout seul, un représentant du Président de la République galonné et décoré, qu’il y a encore des places assises. L’église est si remplie qu’il y a déjà des dames debout dans les allées. Tout le public est féminin, et le représentant du Président est le seul homme présent. Il ne fait pas exception à la règle et en attendant que la messe commence, il se distrait du défilé des gens arrivant par la porte se trouvant dans son champ visuel. Il remarque l’arrivée d’Élisabeth, se lève, s’approche d’elle, lui tend la main et l’invite à s’asseoir à sa gauche au premier rang. Dans cette église bondée de monde, la température, à cette heure de l’après-midi, atteint les trente-deux degrés centigrades. Les manches longues du beau tailleur noir doublé de soie d’Élisabeth font monter pour elle la température d’au moins deux degrés. Elle porte des talons à la hauteur parfaite pour donner de l’élégance à une démarche de femme, mais qui deviennent incommodants quand il faut rester debout un certain temps. Élisabeth est contente de trouver à s’asseoir et ne cherche pas à comprendre pourquoi elle est à cette place d’honneur.

À peine s’est-elle installée que l’officiant s’amène et la messe commence.

L’assistance ne semble rien connaître au rite de la cérémonie. Les voix sont rares et faibles pour répondre aux prières. Personne n’accompagne le sacristain qui s’est dévoué pour entonner les cantiques. Le public est nombreux mais plutôt silencieux. Élisabeth pense que son ami, l’ambassadeur Wong Yu Cheng, méritait des prières plus ardentes. Élisabeth se rend compte qu’elle est, par défaut, le leader de cette assemblée amassée derrière elle. Elle entend la foule se lever quelques secondes après qu’elle s’est elle-même mise debout, s’asseoir après qu’elle s’est assise et s’agenouiller après qu’elle l’a elle-même fait. Ses gestes sont faciles à suivre. Souhaitant que la foule puisse aussi suivre ses réponses à l’officiant, elle les dit d’une voix claire et forte. Au chant d’entrée, au Kyrie et au Gloria, c’est la voix d’Élisabeth que l’on entend. Cela lui donne envie de se retourner et de donner face à la foule qui pourrait peut-être, à ce moment, suivre ses lèvres pour répondre avec elle. Elle a envie de sourire quand elle voit le regard en coin d’un jeune élève qui triche, du représentant du Président de la République qui, lui aussi, est content d’avoir un guide à suivre.

Chant d’entrée, Kyrie, Gloria, première lecture, deuxième lecture, lecture de l’Évangile… et c’est le moment de l’homélie.

Le prêtre dit qu’il est touché de voir la foule venue prier pour le repos de l’âme de l’ambassadeur Wong Yu Sheng, cet homme menu mais qui avait un si grand cœur que l’on se demande si son corps suffisait à le contenir. C’est sans doute cela qui donnait cet aura à Wong Yu Sheng. Il a discrètement touché la vie de tant de femmes. Ne craignant point de salir sa réputation d’ambassadeur, il se donnait pour mission d’aller régulièrement chercher les prostituées postées aux coins des rues pour les persuader qu’elles étaient capables de gagner plus honorablement leur vie. Il les invitait à s’inscrire dans des écoles professionnelles.  Il payait inscription, écolage. Il leur donnait même une allocation mensuelle leur permettant de se nourrir sans avoir à se comporter en femmes éveillant les bas instincts des hommes mais en grandes dames, prouvant ainsi que seule la misère et l’instinct de survie les avaient portées à s’humilier et à pratiquer ce métier consistant à vendre leurs charmes. L’ambassadeur Wong Yu Sheng a transformé des milliers de filles de joie en couturières, cuisinières, pâtissières, jardinières d’enfants, professeurs d’école… Certaines ont même pu se rendre à Taïwan pour parfaire leur formation.

Élisabeth est très émue par tout ce qu’elle apprend. Elle est bouleversée de découvrir le grand homme qu’était son client-ami, l’aimable Wong Yu Sheng, et les larmes lui montent aux yeux. D’admettre qu’elle ne connaissait pas plus de lui que sa gentillesse exemplaire fait monter un peu plus de larmes à ses yeux. Le regret de savoir qu’elle ne pourra jamais apprendre de la bouche même de ce bienfaiteur, qu’elle pensait connaître, tout le bien qu’il faisait, augmente son désespoir et elle pleure encore plus. L’humilité de ce monsieur, qui a touché tant de vies sans jamais en parler, l’émeut et fait jaillir encore des larmes. Assise  en première rangée à côté du représentant du Président de la République, Élisabeth pleure plus que toutes ces dames à qui Wong Yu Sheng a sauvé la vie.

La messe continue. Au Credo, la voix d’Élisabeth est à peine perceptible. Elle est tremblotante et pleine de larmes. Elle reprend un peu de force au Notre Père et à l’Agnus Dei. Mais, après la conclusion, les beaux témoignages de dames très correctes montant en chaire, pour avouer qu’elles n’ont pas toujours été correctes et pour affirmer que sans le passage de Wong Yu Sheng dans leur vie elles ne seraient rien, font revenir abondamment les larmes d’Élisabeth. Elle a les yeux et le nez rouges. quand arrive la fin de la cérémonie et que le public a envie de saluer quelqu’un afin de faire savoir qu’il était là. Le représentant du Président a sans doute d’autres obligations. Il ne peut s’éterniser sur les lieux. Il ne sait pas qui est cette dame protocolaire, très affectée par la mort de Wong Yu Sheng, qu’il a invitée à s’asseoir auprès de lui, mais il a lui aussi envie de faire connaître sa présence avant de se retirer. Il se tourne donc vers sa gauche et tend la main à Élisabeth. Il garde entre ses deux mains la main droite qu’Élisabeth lui a tendu en retour et se penche en avant pour lui présenter, sur un ton très attristé, tout à fait de circonstance, les sympathies du Président de la République et les siennes. Élisabeth les reçoit. La foule a compris qu’Élisabeth est la personne qu’il faut saluer. Le représentant du Président de la République d’Haïti se retire, et Élisabeth reçoit, éplorée, plus d’un millier de baisers d’ex-prostituées.

Un sourire, presque un rire, remplace ses larmes quand son imagination fait trotter dans sa tête, épuisée par ces baisers auxquels elle ne peut échapper, les différents titres que ces dames lui attribueront  après cette messe pour le repos de l’âme de Wong Yu Sheng. Certaines diront qu’elles ont salué la veuve de Wong Yu Sheng qui n’était pas une Asiatique, d’autres, une employée discrète de l’ambassade qu’elles n’avaient jamais rencontrée auparavant, d’autres encore, un membre du corps diplomatique, et la majorité pensera à une proxénète. Élisabeth ne peut, à ce moment, retenir son rire. Le représentant du Président de la République et un millier d’ex-prostituées la reconnaîtront dorénavant comme une proxénète. Élisabeth, une proxénète ! Certaines raconteront qu’il était étonnant de voir cette proxénète, encore active, pleurer autant la mort de Wong Yu Sheng qui lui a fait perdre tant d’employés, d’autres diront que c’était touchant de voir une proxénète repentie pleurant chaudement le départ de celui qui a enlevé le diable de son âme.

Élisabeth reçoit maintenant les salutations du reste de la foule avec, mêlé à ses larmes, un sourire qu’elle ne peut contenir. Ceci la fera percevoir comme une proxénète déséquilibrée, mélangeant rires et pleurs, ces pleurs qui lui jouent des tours.

Très peu de temps après, Élisabeth eut encore à enfiler son tailleur noir liseré de blanc pour se rendre, pour des raisons tout à fait différentes, à d’autres funérailles. Elle était récemment devenue la voisine d’un chroniqueur d’une radio à grande écoute en Haïti. Respectant les coutumes, ils s’étaient rendu les visites de quartier. Ils avaient sympathisé, et une amitié naissait. . Parmi les sujets abordés à la première rencontre, ce nouveau futur parent (« vwazinaj se fanmi », n’est-ce pas ?) avait parlé avec admiration de madame Martine Jasmin, sa tante. Grande et remarquable activiste féministe, cette dame passait sa vie à défendre la femme avec passion. Elle était toujours prête à intervenir en sa faveur. Elle se faisait l’avocate des filles mères auprès des papas qui ne faisaient pas face à leurs responsabilités et trouvait moyen d’obtenir d’eux un soutien, ne serait-ce que financier, pour ces enfants qu’ils avaient conçus. Elle s’emballait contre toute forme de publicité qui utilisait un corps de femme : une femme en tenue décolletée dans une publicité pour des pneus la faisait débarquer au bureau du  PDG de la société pour le convaincre que les images utilisées pour vendre son produit étaient offensantes pour la femme et qu’il convenait de les changer. Même processus pour une publicité avec une femme en bikini au bord de la plage buvant une boisson rafraîchissante. Les dirigeants des grandes boîtes haïtiennes étaient arrivés à craindre ses verts sermons. La question : « Cette pub passera-t-elle le test Martine Jasmin ? » était devenue une question à laquelle s’attendaient maintenant les agents de publicité. Élisabeth s’était étonnée de n’avoir jamais auparavant entendu parler de madame Martine Jasmin. Elle était surprise de réaliser que, par contre, son mari la connaissait, vu qu’il avait, pendant cette visite, émis des opinions positives à son sujet.

Un mois plus tard, elle apprend à la radio la mort subite et inattendue de madame Martine Jasmin.  Élisabeth est secouée par la nouvelle. Voilà une personne qui laisse cette terre très peu de temps après qu’Élisabeth a appris son existence. Élisabeth se sent dans l’obligation d’aller à ses funérailles à cause de son nouveau voisin et de la longue conversation qu’ils ont eue autour de madame Jasmin à leur dernière rencontre. Elle tire de son sac à main son petit agenda qu’elle tient méticuleusement à jour et consulte tous les matins. Elle y inscrit à la date et l’heure annoncée à la radio : Funérailles Martine Jasmin – Sacré-Cœur.

Au jour indiqué, Élisabeth se rend seule à ces funérailles. Son mari la remercie de le représenter pour l’occasion et la félicite de cette marque d’attention vis-à-vis d’un voisin.

Il y a beaucoup de monde à l’église mais pas la foule qu’on attendrait pour une activiste défendant la femme avec autant d’acharnement. Madame Jasmin est morte dans sa cinquantaine, assez jeune pour provoquer beaucoup de larmes. Élisabeth remarque que le public est correct mais pas plus ému qu’il ne l’aurait été pour un vieillard Le voisin d’Élisabeth est assis, bien sûr, avec sa femme, avec la famille et reçoit les salutations. Il a un port digne, mais il ne pleure pas. Ce n’est pas étonnant : les hommes ne pleurent pas aux funérailles, ne pleurent pas en général, cela dénote un manque de virilité. Élisabeth regarde aussi la mère de son voisin, sœur de la défunte. Elle non plus ne pleure pas. Le mari, monsieur Jasmin, le veuf, est stoïque. Il ne pleure pas. Les frères et sœurs, les neveux et nièces sont sérieux… ils ne pleurent pas. Élisabeth est alors prise de chagrin pour cette femme, cette féministe enterrée à sec. Elle n’a pas eu le bonheur d’avoir des enfants, et c’est la raison de ces funérailles sans larmes. Ses enfants l’auraient certainement pleurée. Et son mari n’aurait-il pas faibli si cette épouse lui avait laissé des fruits dont il serait maintenant seul responsable ? Et ces femmes qui suivent son mouvement féministe, pourquoi ne se laissent-elles pas aller à l’émotion ? Elles suivaient une idée, un leader, mais n’avaient pas d’affection pour la personne qui véhiculait cette idée ? Élisabeth est profondément chagrinée que ce défenseur de la femme soit enterré sans une larme, et cela fait couler les siennes. Elle se met à pleurer. Elle pleure les bonheurs qu’elle imagine que cette femme n’a pas connus. Elle pleure du fait que cette femme, engagée envers la cause féminine n’ait pas atteint l’épanouissement suprême de la féminité que procure la maternité. Elle pleure du fait que personne ne pleure. Maintenant, Élisabeth n’arrive plus à contenir ses larmes qui coulent à flots. Elle pleure de ne pouvoir s’arrêter de pleurer. Elle pleure de se faire remarquer dans l’assemblée. Elle pleure au point d’être remuée. Elle pleure alors de sa trop grande sensibilité qui est sans doute anormale. Elle pleure encore quand la cérémonie est finie et que le cortège familial suit le cercueil pour sortir de l’église. Elle pleure de ne pas pouvoir arrêter ses larmes. Elle pleure de se trouver bête. Elle pleure toujours quand son voisin passe à côté d’elle en défilant derrière le cercueil, et son désespoir n’échappe pas au voisin qui le lendemain appelle au téléphone pour annoncer au couple sa visite :

–        Je suis venu vous remercier pour la présence d’Élisabeth aux funérailles de ma tante. Mon cher voisin, elle t’a bien représenté. Je veux aussi te présenter mes sympathies, Élisabeth. Je ne savais pas que tu étais la meilleure amie de ma tante. Tu ne me l’as pas dit quand nous parlions d’elle récemment. Je m’en suis seulement rendu compte, hier, en voyant ton chagrin aux funérailles. C’est dur de perdre une amie, et tu as droit à mes condoléances. Oui, un leader est parti. Je voudrais faire une émission de radio en son honneur. J’ai déjà contacté des membres du mouvement féminin qu’elle dirigeait. Mais ce serait intéressant d’avoir aussi le témoignage d’une de ses amies chères, une personne comme toi pour qui, visiblement, sa mort a laissé un grand vide.

Ah ! ces larmes qui lui jouent des tours ! Élisabeth a envie de rire en voyant l’expression de surprise de son mari. Il semble perdu. En toute honnêteté, elle avoue à son nouveau voisin qu’elle ne connaissait pas du tout madame Martine Jasmin et qu’il lui faudra chercher ailleurs le témoignage d’une amie :

–   Oui, vois-tu, doit lui déclarer Élisabeth, j’ai les larmes faciles. Je m’excuse qu’elles t’aient induit en erreur. Je dois être honnête, je n’ai pas connu ta tante.

L’aspect inattendu de cette déclaration fait éclater de rire tout le monde.

–   Mais tu étais la plus affectée aux funérailles ! lui dit le voisin.

–   Ça alors ! Je dois aller raconter celle-là à ma femme qui me disait que ton chagrin lui fendait le cœur.

Le nouveau voisin ne reste pas plus longtemps. Élisabeth et son mari rient ensemble à la pensée qu’il est pressé d’aller raconter à sa femme que, sous des apparences très normales, il manque une feuille à la nouvelle voisine. Elle est un peu déséquilibrée !

*

Élisabeth avait encore enfilé son tailleur noir liseré de blanc… mais, cette fois, dans le but de se défouler. Elle venait d’apprendre une nouvelle qui lui fendait le cœur : sa mère était atteinte d’un cancer déjà métastasé. Elle vivait ses derniers jours. Élisabeth n’arrive pas à contenir sa douleur et pense que verser des larmes chaudes qui ne provoqueraient aucune question indiscrète serait sa meilleure auto-thérapie. Il lui vint à l’esprit qu’à des funérailles, elle pourrait non seulement pleurer sans retenue, mais aller, peut-être, jusqu’à crier. Elle n’arriverait certainement pas à « prendre crise », se jetant par terre, remuée par des spasmes et poussant des cris stridents. Elle avait toujours eu horreur de ce spectacle  que l’on voyait souvent  aux funérailles en Haïti et s’étonnait maintenant de le juger comme un bon moyen de se défouler. Elle n’irait pas à cet extrême, mais ces larmes, qui lui venaient facilement, la soulageraient. Cette fois donc, quand elle enfila son « uniforme d’enterrement », le fameux tailleur noir liseré de blanc, la date n’avait pas été inscrite auparavant dans le petit agenda qu’elle tient méticuleusement à jour et consulte tous les matins. Elle s’était plutôt fiée au dicton créole : « Wè pa wè, antèman pou katrè. » Et une heure auparavant, elle s’était rendue dans la zone du Sacré-Cœur de Turgeau, où s’alignaient plusieurs parloirs funéraires, avec l’idée d’assister à celui qui avait le plus de monde et où elle passerait donc le plus inaperçue. La tâche avait été facile, il n’y avait ce jour-là une exposition de corps qu’au parloir funéraire de l’Ange Bleu.

Elle rentre donc dans la salle climatisée où le corps est exposé et s’assied discrètement à la dernière rangée. Elle se passe de salutations à la famille. Ce n’est pas nécessaire. Elle ne connaît pas ces gens, et ces gens ne la connaissent pas. Elle est venue à ces funérailles simplement pour pleurer librement, sans choquer personne. Elle regarde le cercueil. C’est un homme pas très âgé que l’on enterre, il doit être dans la cinquantaine. Un coup d’œil vers la famille : la veuve est assise à la tête du cercueil, deux jeunes couples et une jeune fille sont auprès d’elle, leurs enfants sans aucun doute. La veuve a approché sa chaise du cercueil de façon à pouvoir se pencher vers son défunt mari pour lui caresser tendrement la tête. Les enfants, de jeunes adultes, viennent de temps en temps réconforter leur mère en lui passant la main sur le dos, en lui posant un baiser sur le front. Il est évident que c’est une famille unie.

À l’Ange Bleu, la dépouille mortelle est placée comme d’habitude au fond de la salle, bien centrée par rapport au mur qui donne face à la porte d’entrée. Des rangées de chaises sont placées perpendiculairement au cercueil, un groupe du côté de la tête du défunt, un autre groupe du côté des pieds. Ces deux groupes sont donc assis l’un en face de l’autre avec une allée laissant défiler ceux qui viennent les saluer, pour les séparer. Élisabeth est assise du côté des pieds de la dépouille mortelle,  et donne ainsi face à la famille immédiate du défunt.

À cause de ses problèmes, elle est plus vulnérable qu’un autre jour à la douleur, et elle le sait. Elle ne s’étonne pas d’avoir très vite des larmes qui lui montent aux yeux face à ce triste tableau d’une famille qui perd trop tôt un être cher, un mari et un père. Elle se laisse aller et pleure sans retenue. Après tout, c’était le but de cet exercice. Mais cette femme, qui s’est assise sans saluer la famille, qui assiste à de longues salutations et qui maintenant pleure, attire bien vite l’attention des enfants du mort. Intrigués, ils la regardent avec de plus en plus d’insistance. La veuve éplorée finit aussi par la remarquer, abandonne un moment les caresses à son mari pour se pencher à l’oreille de son fils, assis à sa droite, et lui chuchoter quelque chose. Il ne fait pas de doute que c’est pour demander qui est cette pleureuse. Et maintenant le tableau rappelle ce jeu qu’Élisabeth aimait pratiquer dans son enfance et qu’on appelait « téléphone ». Il consistait à chuchoter une phrase à l’oreille d’une première personne, qui la chuchotait à une deuxième, qui la chuchotait à une troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que la phrase, arrivée à la dernière personne en ligne, soit dite à voix haute, inévitablement et involontairement déformée, ce qui finit par faire rire les joueurs.

Mais, à ce parloir, arrivée en fin de ligne, la phrase n’est pas dite à voix haute. Les cinq personnes se penchent en avant pour se regarder l’une l’autre, échanger des signes incompréhensibles pour ceux qui ne font pas partie du clan. Et une nouvelle phrase part du côté gauche, cette fois. C’est la jeune fille qui la dit à la femme assise à côté d’elle. Chaque nouveau récipiendaire de la phrase lance maintenant un regard hostile à Élisabeth. Si ces gens savaient, pense-t-elle, combien ils n’ont aucune raison de se méfier de moi ? Et ceci lui fait esquisser un sourire au milieu de ses larmes. Ce sourire sur le visage d’Élisabeth arrive au moment même où cette phrase est chuchotée à l’oreille du fils assis à côté de la veuve. Il l’a vu et lance un regard indigné à Élisabeth. Celle-ci comprend que sa présence dans ce lieu n’est pas bienvenue Mais, le chagrin de cette famille lui fait sentir que chacun a ses problèmes, ses soucis, ses tourments, et cela lui remonte un peu le moral. C’est drôle que l’être humain prend courage en voyant le malheur de l’autre. Malgré l’inconfort que crée sa présence, Élisabeth ne veut pas s ‘en aller. Elle pleure. C’est inoffensif.

Vient le moment des discours avant la fermeture du cercueil et la levée du corps. Une fille se lève et dit combien elle a eu un père aimant et sa mère, un époux exemplaire. Ce monsieur a donc deux filles et un fils, un gendre et une bru. Leur chagrin émeut Élisabeth. Elle pleure, et ses pleurs exaspèrent cette famille. Une femme, accompagnée d’un guitariste, se place maintenant devant le cercueil. Elle dit qu’à la demande de l’épouse éplorée, elle va chanter ce chant que son mari défunt, qu’elle n’oubliera jamais, lui a chanté toute la vie. Avec une voix merveilleuse elle entonne :

Après toi je n’aurai plus d’amour

Après toi mon cœur sera fermé pour toujours
Ici-bas rien ne m’attire que ton sourire
Ici-bas rien ne m’émeut que tes grands yeux si bleus
Tout en moi t’appartient sans retour
Après toi je n’aurai plus d’amour.

C’est beau ! C’est magnifique ! Élisabeth savait entendre ce tango interprété par Tino Rossi, mais n’avait jamais pris la peine d’écouter attentivement les paroles. Elle est touchée par ces belles paroles, ce témoignage d’amour, cette voix si pure, l’amour profond qui a visiblement existé dans ce couple, et un sanglot bruyant lui sort de la gorge pendant que ses épaules tremblent. Elle a l’air plus remuée que la veuve, les filles, le fils, le gendre, la bru qui maintenant ne semblent pas capables de faire autre chose que de regarder ce spectacle ahurissant. Toute la famille la regarde, fâchée. Le fils aîné se lève, se tient très droit comme pour se donner de l’assurance et va à la rencontre d’Élisabeth à qui il dit posément à voix basse :

–   Madame, vraiment, vous n’avez pas votre place ici.

Il lui prend le bras, l’aide à se lever de sa chaise et l’accompagne à la porte. L’assistance, interloquée, regarde la scène. Élisabeth ne se défend pas, se laisse guider vers la sortie, incapable de marcher droit, sa vue troublée par des larmes abondantes. Elle était venue se défouler, mais, maintenant, à son chagrin qu’elle était venue noyer, s’est ajoutée une nouvelle peine.

Élisabeth pleure d’avoir inutilement causé du chagrin à toute une famille.

Elle pleure d’avoir entaché la réputation de mari fidèle de ce monsieur qu’elle ne connaît pas.

Elle pleure de ne jamais pouvoir effacer la déception et les doutes qu’elle a sans raison apportés aujourd’hui à toute une famille.

Elle pleure d’avoir fait mal, très mal.

Cette fois, ses larmes n’ont pas fait naître un sourire chez Élisabeth. Elles lui ont mis une boule dans la gorge. Loin de l’avoir libérée, elles lui ont donné un sentiment de culpabilité au goût amer.

Ah ! les larmes d’Élisabeth lui ont joué bien des tours !

Elles sont venues spontanément quand elles l’ont fait passer pour une proxénète déséquilibrée ;  c’était drôle.

Quand elles ont fait croire qu’elle était la meilleure amie d’une activiste féministe qu’elle ne connaissait pas, c’était amusant.

Quand elle a cherché à en verser pour se défouler, elles lui ont donné un profond remords ; cela fait mal.