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Des Nouvelles D’Elisabeth: Je Vous Salue Marie

Élisabeth avait pour habitude de dire bonjour à Maman Marie à son réveil, avant de sortir de son lit, avant de prendre son café, avant même d’adresser un premier mot à son mari. Elle la savait toujours présente et tenait à lui témoigner, en tout premier lieu dans sa journée, cette marque de respect.

 

     Je vous salue Marie, première phrase des journées d’Élisabeth, était suivie de la prière rituelle, récitée différemment selon les circonstances :

– mécaniquement et rapidement, si Élisabeth se rendait compte qu’elle avait trop traîné au lit.

– avec ferveur, si Élisabeth avait une demande bien spécifique à faire à la Vierge Marie.

– de manière suppliante, lorsqu’un souci enlevait paix et sérénité à Élisabeth.

– distraitement, si la radio ou la télévision étaient déjà allumées pour suivre les premières nouvelles de la journée.

– avec le caractère irréfléchi de la routine.

 

Souvent, elle avait une conversation à cœur ouvert avec la Vierge Marie.

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâces.

 

Marie, que de tourments tu as dû avoir après avoir accepté, avec grâce, d’être la mère de Dieu en dehors des liens du mariage. Tu étais fiancée à Joseph, n’avais jamais habité avec lui, et tu acceptes d’être enceinte de l’Esprit Saint ! Tu as dit oui à l’ange venu t’annoncer que tu porterais un enfant conçu de l’Esprit Saint, c’est extraordinaire ! Réponse impulsive faite sous le coup de l’émotion, de l’effet de surprise ? Je ne sais pas, mais ton oui est remarquable ! Le plus difficile, Marie, n’a-t-il pas été d’annoncer la nouvelle à ton fiancé Joseph, un homme ? Cela me fait trembler, Marie ! Toi, tu as rendu la tâche facile à l’ange en lui disant oui tout de suite. En retour, il aurait pu t’aider en te disant qu’il irait aussi annoncer la nouvelle à Joseph. Je n’aurais pas aimé être dans tes souliers, Marie. Et si Joseph te répudiait ?

Mais heureusement, Marie, tu as eu cette grâce : Joseph, ton époux, était un homme juste qui ne voulait point te diffamer. Un homme fort, courageux et hardi qui n’a pas craint de te prendre chez lui comme épouse alors que tu portais un enfant qui n’était pas de lui. Quel bel acte de foi ! Quel homme !

 

Je te vois belle, Marie, pleine de grâces : l’attrait de ton visage, la douceur de tes traits. Et ton tempérament. Joseph est extraordinaire d’avoir pu rester chaste à tes côtés.

 

C’est un état de grâce, Marie, que tu aies accepté, à la première demande, la lourde responsabilité de devenir mère de Dieu et ainsi mère des hommes. Combien de nuits de sommeil cette décision t’a-t-elle fait perdre, Marie ? Tout ceci me paraît effrayant. Je tremble en y pensant et j’admire ton courage, Marie. Tu es unique. Je n’en connais point une autre qui aurait accepté. Merci Marie d’avoir dit oui.

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous.

Oui, Marie, le Seigneur est avec toi. Tu es sa mère. C’est drôle, Marie, que je te tutoie quand je te parle spontanément et que je te vouvoie dans la prière que l’on m’a apprise et que j’aime te réciter tous les jours.

 

Le Seigneur est ton fils, Marie Bien-Aimée. Il est aussi fils de Dieu, le Père Tout-Puissant.

 

Marie, tout me paraît difficile dans la naissance du Messie qui vient nous sauver et que tu acceptes de mettre au monde. Fille des tropiques, je ne peux m’empêcher de penser qu’une naissance aurait été plus simple et plus confortable en été quand il fait chaud. Mais ton fils, Jésus, naît le 25 décembre, en plein hiver, Marie, quand il fait froid. Je n’ai pas l’habitude du froid, Marie, et cela a dû être terrible d’enfanter sans assistance. Quelle température faisait-il ce jour-là ? Je ne pense pas qu’on me l’ait jamais dite, ni dans mes classes de catéchisme ni dans les récits bibliques. Ah, mais attend ! Le premier thermomètre de l’histoire, le thermoscope, n’est inventé qu’en 1597 par Galilée (drôle que cet inventeur porte le nom de ta province, Marie) et, en 1717, Fahrenheit donne au thermomètre sa forme moderne. Celsius n’est venu avec son thermomètre à mercure qu’en 1742. Pas question donc que notre chère Bible nous donne la température qu’il faisait à la naissance de Jésus, ton fils. La température n’était pas encore mesurée. On utilisait un adjectif pour en parler : froid, très froid, chaud, très chaud, bon… N’ayant pas les chiffres pour mesurer, le vocabulaire était-il à l’époque plus riche ?

 

Revenons à nos moutons. Ton fils, Marie, n’arrive pas pendant que tu es tranquillement installée chez toi à Nazareth, en Galilée. Il naît alors qu’en bonne épouse soumise, tu as suivi ton mari, Joseph, qui veut respecter les lois et part avec toi pour se faire recenser dans sa ville, Bethléem en Judée, comme le demande l’édit publié par César Auguste. C’est arrivée à Bethléem que tu as eu les douleurs de l’enfantement, Marie. Sont-elles venues plus vite à la suite de cette longue marche, Marie, ou au contraire, tes couches ont-elles été facilitées par cet exercice physique ? Si tu as été longtemps à dos d’animal, les secousses étaient-elles bonnes pour toi ?

 

À Bethléem, il n’y a pas de place pour toi dans l’hôtellerie, Marie. Tu accouches dans une étable, et ton fils, le Sauveur du Monde, est couché dans une crèche. Le Seigneur est avec toi. Tu l’as mis au monde. Tu dois être extenuée, Marie, endolorie par l’accouchement, épuisée par tous ces événements, par ce long déplacement. Tu es Femme, Marie… As-tu connu le baby blues ? Mais, tu es la mère de Dieu, tu dois te montrer forte. Ton baby blues, tu ne pouvais pas le faire connaître, même à ton époux Joseph. Quelle grâce, Marie !

 

Les rois mages sont informés de la naissance de ton fils par une étoile. Ils viennent le visiter et lui apporter des cadeaux.

 

Je suis des temps modernes, Marie, et voyant les communications avancer à un rythme accéléré, je m’étonne souvent que ton fils ait choisi d’arriver à l’époque où les hommes prenaient le temps de regarder les étoiles pour connaître les grandes nouvelles. Cela a tellement limité la propagation de cet événement qui a changé le monde. De nos jours, la naissance du Christ, notre Sauveur, se serait sue par Facebook, Twitter, e-mails, CNN, téléphones cellulaires avec WhatsApp et BBM… Elle aurait fait boule de neige et se serait répandue comme un virus… Ce ne serait pas seulement trois rois mages qui seraient venus visiter Jésus… Et puis, avec Internet, tu aurais pu faire une réservation à un hôtel de Bethléem pour que tu y loges dans des conditions confortables. Tu aurais pu réserver une chambre d’hôpital pour tes couches. Je divague, Marie. Ces moyens de communication sont œuvres des hommes. Cela aurait été de la publicité gratuite pour l’hôtel ou l’hôpital qui t’aurait accueillie, pour ton médecin accoucheur et même l’infirmière qui le seconderait. Il fallait utiliser un moyen créé par le pouvoir de ton fils et l’étoile, c’est parfait. C’est très beau et c’est un rappel aux hommes du monde moderne qu’il leur faut prendre le temps d’admirer la nature, de prêter attention au firmament, cette merveille aux couleurs changeantes mise à notre disposition et que nous ne prenons même plus le temps de regarder. C’est tellement dommage que nous en soyons réduits à admirer le plus souvent un beau ciel sur Instagram au lieu de simplement lever la tête une minute et regarder cette merveille qui est à la disposition de tous, riches ou pauvres, instruits ou ignorants, beaux ou vilains…

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes.

 

J’avoue, Marie, que le mot « bénie » me fait peur. Il me semble que pour être bénie, il faut humblement accepter des souffrances comme toi.

Marie, voici qu’après la naissance de Jésus, le roi Hérode veut le faire périr. Sur ordre de Joseph, tu le prends et pars avec lui et ton époux en pleine nuit pour l’Égypte où tu resteras jusqu’à la mort d’Hérode. Je me fâche un peu contre Joseph qui, il me semble, ne t’explique jamais trop les raisons des déplacements qu’il t’impose. Joseph t’a-t-il dit pourquoi il se sauvait avec toi, Marie ? T’a-t-il dit la cause de ce départ précipité de Bethléem ? Ou as-tu simplement, en femme soumise, suivi ton époux, mettant de côté toutes tes fatigues accumulées ? Veux-tu nous apprendre, Marie, la soumission totale à nos époux ? Les maris ont-ils donc pouvoir total sur nos faits et gestes, sur le lieu où ils veulent établir leur foyer, sans nous donner d’explication ? Joseph a-t-il voulu te protéger en partant avec toi en pleine nuit sans te dire pourquoi ? A-t-il eu l’intuition que tu serais perpétuellement inquiète et tourmentée si tu savais que le roi Hérode voulait tuer ton fils ? Mais, Marie, ton fils est fils de Dieu ! Un roi de la terre pourrait-il lui faire du tort ? Sans doute, puisque, en acceptant de le mettre au monde, tu as aussi permis à Dieu de se faire homme. Tu es bénie entre toutes les femmes.

 

Marie, comme toi, je suis mère. Je peux te dire que j’attends toujours affection et gentillesse de mes enfants. Comment t’es-tu sentie, Marie, quand Jésus, ton fils, a répondu dans la synagogue à ceux qui dans la grande foule lui annonçaient que tu étais dehors :

–   Qui est ma mère et qui sont mes frères ?

Moi, Marie, j’en aurais été très mortifiée. Une fois seule avec mon fils, je lui aurais fait de vertes remontrances.

–   Qui est ma mère ?

Je lui aurais dit : Apprends une fois, et pour toujours, que JE suis ta mère. Comment peux-tu m’humilier ainsi devant une foule en répondant à ceux qui te disaient que j’étais là : Qui est ma mère ?

Mais, toi, Marie, mère du Christ, n’es-tu pas une mère comme les autres ? Tu es bénie entre toutes les femmes. À ce prix, Marie, je crains de ne pas vouloir être bénie et te remercie, Marie, d’accepter de l’être pour moi.

 

Tu es fidèle aux traditions, Marie. Pour la fête de Pâques, tu vas en famille à Jérusalem. Quand ton fils a déjà 12 ans, presque un teenager, cela se passe bien, comme d’habitude. Mais voilà qu’au retour, après une journée de marche, tu ne le vois pas. Il doit être resté à Jérusalem. Tu retournes donc là-bas et le cherche durant trois jours avant de le trouver. Que d’angoisses ! Tu le retrouves finalement au temple entouré de docteurs qui écoutent avec attention ce jeune. Il y a là de quoi être fière. Mais ton inquiétude ne laisse pas de place à la fierté :

–   Mon enfant, pourquoi nous avez-vous fait cela ? Voyez, votre père et moi, nous vous cherchions, tout affligés.

–   Pourquoi me cherchiez-vous ? te répond-il. Ne saviez-vous pas qu’il me faut être chez mon Père ?

Une autre humiliation, Marie. Tu as eu peur, Marie, peur de le perdre, peur qu’il lui soit arrivé un malheur. Et puis, Marie, c’est à cette réponse que tu as droit ! Ah, Marie, tu es bénie !

 

Je suis contente pour toi, Marie, qu’aux noces de Cana, ton fils t’ait fait passer un bon moment. Quand tu lui as dit qu’il n’y avait plus de vin, il ne t’a pas donné une de ces réponses qui m’aurait fâchée, moi, comme mère. Ce qu’il a accompli ce jour-là m’aurait fait péter d’orgueil. Il a  ordonné de remplir d’eau les urnes et quand il a demandé d’y puiser pour porter le contenu au maître du festin, l’eau avait été changée en vin. Ah, Marie ! Là, je suis vraiment contente pour toi. Enfin un moment de joie méritée ! Il a changé l’eau en vin, et c’était le meilleur cru ! Ah, Marie, j’imagine tes beaux yeux  pétillant de fierté. La fête était belle !

 

Marie, j’ai toujours pensé que la plus grande souffrance sur terre est celle d’une mère perdant son enfant. C’est contre-nature. Les plus âgés doivent partir avant les plus jeunes. Les enfants sont appelés à enterrer leurs parents. Une mort naturelle est moins lourde à supporter qu’un assassinat. Toi, Marie, non seulement tu vois ton fils mourir, mais tu constates qu’il est  tué par des hommes alors que c’est Dieu qui a pouvoir de vie et de mort. Ton fils, qui est venu nous sauver, est battu et condamné à la crucifixion par des hommes. Sur le chemin de son Calvaire, toi, sa mère, tu le vois défiguré, humilié, brisé, avançant douloureusement, tombant et se relevant sous le poids de la croix. Que de souffrances pour ton fils, que de souffrances pour toi, sa mère !

 

Tu es bénie entre toutes les femmes. Merci Marie !

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni.

 

C’est Élisabeth ta cousine qui te l’a dit la première fois :

–   Le fruit de vos entrailles est béni.

Quand tu as appris que tu porterais un enfant conçu de l’Esprit Saint, tu as aussi appris que ta cousine Élisabeth (au même prénom que moi) était finalement enceinte. Elle avait déjà atteint un certain âge et n’avait jamais pu enfanter. Tu t’es tant réjouie de la grossesse de ta cousine que t’oubliant toi-même, tu es partie la voir dans une ville de Juda et tu es restée trois mois avec elle. Que tu es bonne et généreuse, Marie ! Et c’est magnifique qu’Élisabeth se soit ainsi exprimée à toi :

–   Le fruit de vos entrailles est béni.

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie.

 

Oui, Marie, comme tu es sainte ! Que de misères tu as endurées pour l’humanité tout entière ! Très sainte Marie !

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie, mère de Dieu.

 

Marie, pour moi, aucun des titres que nous te donnons n’est plus glorieux que celui-ci : mère de Dieu. Tu es femme, Marie, et tu as mis Dieu au monde ! Mon Dieu Tout-Puissant est né d’une femme ! C’est le plus grand hommage rendu à la femme. Merci Marie.

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous.

 

Jusqu’ici, Marie, dans ma prière je n’ai fait que répéter les paroles de l’ange à l’Annonciation et celles d’Élisabeth à la Visitation. Ce sont des paroles tirées de l’Évangile.

L’inspiration de la deuxième partie de ma prière est différente. Honnêtement, Marie, je pense que le ton de cette demande n’est pas correct :

–   Priez pour nous.

Mes parents m’ont appris à ajouter un « s’il te plaît » à toute demande. Je l’exige aussi de mes enfants et de mon mari pour la requête la plus simple, au risque qu’elle soit ignorée :

–   Je peux avoir de l’eau, s’il te plaît ?

Je n’accepterais pas un :

–   Verse-moi de l’eau.

 

–   Priez pour nous.

C’est ainsi que nous nous adressons à toi. C’est impératif et irrévérencieux. Les deux beaux titres placés avant cette demande ne la rendent pas pour autant gentille.

–   Prie pour moi, s’il te plaît, Marie.

–   Peux-tu prier pour moi, s’il te plaît, Marie ?

Cette dernière formule est celle que je préfère. C’est elle que j’accepterais de ma famille pour une demande bien plus simple.

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs.

 

Pourquoi le pauvre devant le mot pécheur ? Il me semble qu’il enlève l’humilité du propos. Je suis pécheur, c’est bien que je le reconnaisse, que j’admette ma faiblesse qui me fait avoir recours à toi, Marie, pour ton intercession. Mais quand je dis être un pauvre pécheur, il y a un peu d’auto-compassion, une sorte d’excuse à mon état de pécheur.

–   Sainte Marie, mère de Dieu, peux-tu s’il te plaît prier pour moi, pécheur ?

C’est ainsi que j’essaierai de t’adresser ma prière.

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant.

 

Là, Marie, c’est le comble ! Non seulement je te demande de manière impérative de prier pour moi, mais tu dois le faire maintenant. Pas tout à l’heure, pas quand tu peux, pas quand tu le juges nécessaire, mais maintenant, Marie. Tout de suite.

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort.

 

Impossible, Marie ! Nous te demandons l’impossible ! Tu dois prier maintenant pour nous, pas demain, après-demain ou dimanche, mais maintenant et en plus, à l’heure de notre mort. C’est qui d’ailleurs ce nous ? L’humanité entière ? Ce qui veut dire, Marie, que tu dois toujours être vigilante, surveiller le moment, l’heure de ma mort, de chaque mort sur terre,  pour alors être prête à prier pour moi et pour ce pécheur qui meurt chaque seconde quelque part. Plus compliqué que cela, je ne connais pas, Marie !

C’est saint Simon Stock, supérieur de l’Ordre du Carmel qui, en 1265, t’a adressé ces ultimes paroles sur son lit de mort :

–   Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour moi, pauvre pécheur, maintenant et à l’heure de ma mort.

Puisqu’il se trouvait que l’heure de sa mort correspondait à l’heure de sa demande, il était plus facile d’obtempérer à cette demande. De plus, elle est belle cette prière venant d’un fidèle serviteur. Tu as certainement été heureuse de l’entendre et de l’aider.

 

Mais, depuis le treizième siècle, où l’Église a joint ces paroles au « Je vous salue, Marie » pour donner sa forme définitive à l’Ave Maria, tout le monde t’adresse cette prière, dans toutes les langues, à voix haute, dans le cœur, en chantant, sur tous les tons. Quelle cacophonie pour toi, Marie ! Au fait, à qui donnes-tu la priorité ? À celui qui crie le plus fort ou, au contraire, au plus timide ? Au plus persistant ou à celui qui ne s’adresse qu’une fois à toi, l’effet de surprise attirant ton attention et te faisant prendre plus vite soin de lui ? À celui qui pleure ou à celui qui rit ? Que c’est compliqué, Marie !

 

Nous aspirons tous au repos éternel. Mais, toi, Marie, qui a souffert sur terre, nous ne voulons  pas te laisser te reposer ? Nous créons cet embouteillage de prières qui monte sans cesse vers toi. Aimante, généreuse et docile comme tu l’es, tu dois être en train de constamment prier pour nous dans ce bourdonnement perpétuel et étourdissant de prières qui t’arrivent.

 

Je vous salue, Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous. Vous êtes bénie entre toutes les femmes et Jésus, le fruit de vos entrailles, est béni. Sainte Marie, mère de Dieu, priez pour nous, pauvres pécheurs, maintenant et à l’heure de notre mort. Amen. 

 

Cette prière exigeante, on m’a appris à ne pas te l’adresser qu’une fois, Marie. Un Je vous salue, Marie c’est bien, trois c’est mieux, une dizaine de chapelet c’est préférable. Un chapelet entier, cinquante Je vous salue, Marie, c’est recommandé. Un rosaire, trois chapelets, cent cinquante Je vous salue, Marie, c’est à faire. Dire que si l’un de mes enfants me demande quelque chose plus d’une fois, je l’envoie promener en lui rappelant qu’il ne m’aura pas à l’usure, que je ne suis pas sourde, et que j’ai bien compris dès la première fois ce qu’il voulait mais qu’il devait me laisser décider si je pouvais répondre à sa requête.

 

Mais, Marie, je veux te saluer encore une fois. C’est ce qu’on m’a appris au catéchisme.

 

Et Élisabeth récite un second Je vous salue, Marie, parfois un troisième, parfois une dizaine de chapelet, cela dépend du temps qu’elle a avant d’entamer sa journée. Au travail, en faisant ses courses, en s’occupant de sa famille, au moindre moment de répit, Élisabeth récite un Ave Maria. Elle sent que c’est nécessaire, puisque le « maintenant » est passé et qu’elle ne sent pas être encore arrivée à l’heure de sa mort. Si elle veut que Marie prie pour elle, elle doit le lui demander tout le temps.

 

Le soir, Élisabeth a toujours le sentiment de mériter sa nuit de sommeil. Avant de s’endormir, elle tient une fois de plus à saluer la Vierge Marie. Un, deux, trois, dix Je vous salue, Marie lui sont alors adressés, cela varie avec les jours, avec l’heure à laquelle Élisabeth va au lit. Élisabeth dort, mais la planète n’arrête pas de tourner. Marie est donc de service vingt-quatre heures sur vingt-quatre avec des prières qui montent vers elle à tout moment. L’humanité ne lui permet  pas de se reposer.

 

Le matin, Élisabeth est ragaillardie par une bonne nuit de sommeil. Elle a pour habitude de dire bonjour à Maman Marie à son réveil, avant de sortir de son lit, avant de prendre son café, avant même d’adresser un premier mot à son mari. Elle la sait toujours présente et tient à lui témoigner, en tout premier lieu dans sa journée, cette marque de respect.

Des Nouvelles d’Elisabeth: Introduction

Qui est Élisabeth ?

Élisabeth a été bébé, enfant, adolescente, jeune fille, femme, mère, et est maintenant grand-mère.

Élisabeth n’a pas d’histoire. C’est le dicton qui le dit : « Les gens heureux n’ont pas d’histoire. »

Au téméraire qui insisterait pour se faire raconter l’histoire d’Élisabeth, on ne pourrait dire que ceci :

Élisabeth est née en Haïti.

Elle s’est mariée très jeune, comme cela se faisait à son époque.

Comme tant d’autres natifs d’Haïti, elle a émigré un jour aux États-Unis d’Amérique.

Rien de particulier… Rien d’intéressant… Rien de frappant…

Il est impossible de raconter l’histoire d’Élisabeth puisqu’elle n’en a pas. Mais Élisabeth vit.

Nous pouvons donc vous donner des nouvelles d’Élisabeth…