Histoire sordide

Madame Durand vit ses derniers moments. A son chevet, son mari lui témoigne un dévouement qui l’émeut profondément. Il ne la quitte pas, lui prodigue les soins dont elle a besoin, il est plus présent que jamais dans sa vie.

Madame Durand est touchée par toutes ces attentions. Elle ne veut pas mourir sans obtenir un pardon de son mari.

— Chéri, je vais laisser ce monde. Tu as été un bon mari. Je ne te méritais pas. Est-ce juste de me séparer de toi sans te faire connaitre ma vérité ? Je ne t’ai pas été fidèle. Guy, ton meilleur ami, a été mon amant.

Monsieur Durand est profondément secoué par cet aveu. Cette femme, dont il est responsable de la mort, est plus forte que lui. Elle a eu le courage d’avouer sa faute. Lui demeure lâche et impudent. Il l’a empoisonnée à petites doses. Mais c’est parce qu’il l’aimait qu’il ne pouvait pas tolérer son infidélité ! Il a péché par amour ! Dieu, si seulement il pouvait retourner en arrière et trouver le contrepoison. Il choisirait une solution différente  pour mettre fin à sa douleur de mari trompé. Il couperait court sa relation avec Guy. Il essaierait de regagner le cœur de sa Suzanne. Mais il est trop tard. Suzanne meurt, grandie, à ses yeux, par sa contrition et son aveu.

De l’au-delà, pourrait-elle découvrir ce secret qui lui ronge maintenant les tripes ?

Guy est la première personne à venir en visite de condoléances, quand Suzanne est libérée de ses souffrances. Il est défait. Aussi, il est perturbé de voir l’état de son ami qui semblait auparavant montrer de l’indifférence envers sa femme, au point où cela l’avait poussée dans ses bras…. Guy lui dit honnêtement qu’il s’étonne que la mort de Suzanne le mette dans un état pareil.

Monsieur Durand avoue alors son crime : oui, il était jaloux des sourires de sa femme, de ses mises en beauté à l’annonce d’une visite de Guy chez eux, jaloux aussi des sorties imprévues de Suzanne, après lesquelles elle revenait accompagnée d’une auréole de bonheur palpable. Lâchement, il n’a pas pensé à une autre solution que celle de la tuer. Un poison administré à petites doses a mis fin à ses jours. Elle était gentille, Suzanne. Jamais, elle ne l’a soupçonné. Et aujourd’hui, il voudrait mourir avec elle.

Guy est furieux. Il en vient aux mains. Le personnel de maison se met à crier à tue-tête pour tenter de séparer ces amis de toujours qui semblent, aujourd’hui, décidés à s’entretuer.

Tous deux finissent par se séparer, portant chacun les lourdes traces d’une double perte : mort d’une amitié, mort d’une femme aimée.

Ils ont chacun beaucoup d’eux-mêmes qui est parti avec Suzanne. Il leur reste à vivre dans le tourment.

Les nuits de Monsieur Durand sont maintenant hantées par des cauchemars. Ses rêveries sont sordides. Il revoit Suzanne du temps où il lui faisait la cour, au début de leur mariage, ou encore quand elle est devenue mère. Il aime sa joie de vivre, sa coquetterie, son sens des détails, ses passions. Lui,  il se voit méchant, couard et cynique, tuant tout cela lentement, un jour à la fois, une émotion à la fois.

Guy a perdu une femme aimée et un ami dont il est dégouté. Il n’a plus envie de vivre. Il se voit comme un traitre : il a trahi celui qui fut son meilleur ami en lui volant sa femme, mais celui-ci s’est avéré être un criminel. Quelle profonde déception ! Il devrait le dénoncer. Mais peut-il encore trahir une amitié, en révélant à la justice cet horrible secret qui lui a été confié ?

 

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